Suite à l'échange intéressant initié par ce post, je l'ai modifié en prenant en compte les remarques judicieuses de Pat et Phil sur la question du triple (et de la progressivité).
L'annonce d'il y a quelques jours de la part de Shimano du groupe GRX démontre l'une des plus importantes évolutions depuis l'arrivée du VTT. Enfin, les fabricants semblent tenir compte des besoins des cyclistes "normaux" et pas uniquement ceux qui recherchent les performances en compétition. Jusqu'ici, les nouveautés étaient quasi systématiquement orientées vers une pratique compétition (ou présentée comme telle) avec un "ruissellement" vers les produits plus grand public et les gammes inférieures.
Je n'ai pas l'intention ni le temps de rentrer dans les détails, mais je vous partage le principal, selon moi.
1) De quoi s'agit-t-il?
Une série déclinée en 3 gammes (équivalent Ultegra, 105 et Tiagra), avec au choix du mécanique ou de l'électronique (Di2). Je n'y connais rien à cette gamme électrifiée à commandes sans fils et ne m'y intéresse pas par principe (déjà assez de batteries avec appareil photo et téléphone).
Transmission:
Un nouveau groupe de transmission destiné au marché en plein boom du Gravel mais en réalité pertinent pour le cyclotourisme tel que je l'entends en tous cas.
Concrètement, il introduit des nouveaux pédaliers en mono (1x11) ou double (2x11 ou 2x10) avec des tailles de plateaux pour gens normaux (48x31 ou 46x30). Le mono est pour ceux qui roulent sur des terrains sans grosses côtes et qui recherchent la simplicité. Le double est pour la plupart des cyclos, à mon avis (je reviendrai sur l'absence de triple). Combinée à des cassettes de 11 à 36 voir 40 ou 42 dents, on a une amplitude de développements adaptée au cyclotourisme dans toutes les géographies, toutes les routes/chemins, toutes les formes du cycliste (aux 2 sens du terme ) et tous les chargements (raisonnables) pour des vélos de cyclotourisme. Si on veut plus (cyclo-camping tour-du-monde), il reste les groupes VTT qui ont fait largement leurs preuves et si on veut rester sur des triples, on reste sur la gamme Shimano Tiagra ou Sora.
Freins
Shimano a conçu une nouvelle gamme de leviers de freins avec plus de confort, plus de bras de levier pour une puissance de freinage aux cocottes supérieure et quelle surprise, des mini-freins supplémentaires (genre cyclocross) pour freiner du milieu du cintre, en complément des leviers cocotes!
Photo en provenance de l'article (en anglais) de road.cc ici
Vraiment intéressant comme proposition! Une nouvelle preuve que l'innovation radicale n'existe pas mais qu'en étant ouvert, on peut reprendre les idées des anciens en les adaptant/améliorant. Ces freins sont des freins à disques hydrauliques.
Roues
Je n'ai pas regardé mais ils sortent des roues en 700 et 650B adaptées pour des pneus larges (on appelait ça ballon il y a 50 ans ) et pour freinage à disques.
2) Pas de triple?
Au risque de relancer un débat moult fois discuté sur le forum, le triple ne fait pas partie de ce groupe.
Problèmes avec un triple:
- prend de la place dont on a besoin pour offrir le choix de pneus larges (>40) en gardant un écartement au pédalier identique (Q Factor)
- difficultés de réglage avec cassettes 10 ou 11 v et l'indexation
- coût/prix
Il faut bien voir que le triple a été inventé pour offrir des développements supplémentaires à une époque où on avait 5 pignons et 28 voire 30 dents max à l'arrière (et souvent pas plus de 25).
Avec un petit plateau du double à 30 (ce qui était la taille du petit des premiers triples au temps où on avait du 52/42/30) et des cassettes avec pignons à 36, 40 ou 42, on n'a plus besoin de mini-plateaux à 26 ou 28.
Concernant la ligne de chaîne, comme je l'ai déjà écrit, les chaînes modernes sont plus souples. L'angle plus ouvert fait certes perdre théoriquement de l'efficacité (les lois de la physique) mais c'est marginal (j'ai fait rapidos les calculs et on est dans quelques % de perte d'efficacité).
Quant au 46 ou 48, c'est largement suffisant avec un pignon à 11 dents derrière.
Le triple n'est donc plus nécessaire pour répondre aux besoins d'amplitude de développements.
Ceci dit, l'amplitude n'est pas le seul facteur impactant le confort du cyclo: la progressivité entre les développements en fait aussi partie. L'avantage du triple reste inchangé en ce domaine. L'énorme différence entre les 2 plateaux du groupe GRX crée un très gros écart au moment de passer d'un plateau à l'autre, obligeant à jouer sur le dérailleur AR. Certes c'est plus simple avec des manettes au guidon (2 mains pour faire le passage) mais ça reste un problème. Sur un triple comme le mien, je passe souvent dur le petit plateau sasn avoir à revenir sur un plus petit pignon. La transition est assez naturelle.
Le triple plateau reste au catalogue de Shimano (Tiagra) et Campagnolo, contrairement à SRAM (qui voudrait imposer le mono).
Mais la compatibilité des manettes de freins/vitesses GRX avec le Tiagra reste à confirmer.
3) Pourquoi cette annonce est-elle significative?
Depuis la fin des années 80 et l'arrivée du VTT, les fabricants/vendeurs de vélos de route ont lobotomisé le marché (nous) en faisant croire à tout le monde que le meilleur vélo est celui qui est le plus proche de celui utilisé par les coureurs pros sur route. Ils nous ont contraints à acheter des vélos inadaptés à notre pratique. Si on n'était pas content parce qu'on voulait rouler sur des routes "normales" (et de temps en temps des routes non goudronnées), en transportant quelqu'affaires, sans se faire mal à la nuque ou au dos etc., , on n'avait qu'à aller au diable ou:
1) rouler sur des vieux vélo
2) passer au VTT (ce que j'ai fait entre 1987 et 2009)
3) se restreindre en choisissant des VTC
4) plus tard, opter pour des tanks à l'allemande conçus pour rouler autour du monde
Grâce à quelques personnes et à Internet (qui a permis à ces personnes de se faire connaitre sans passer par les canaux dominants que sont les fabricants, la presse du cycle qui ne vit que par et pour les premiers, les détaillants qui vendent ce qu'on leur demande de vendre), un nombre grandissant de cycliste a "vu la lumière". Oui, le vélo peut redevenir ce qu'il a été: un fantastique moyen de découverte, de rencontre. On n'est pas forcé de rouler sur des billards à se chronométrer dans la monté e de l'Alpe d'Huez. On n'est pas forcé de devoir partir avec 2 vélos (route et VTT) si on veut rouler pépère, etc.
C'est parce que Shimano, l'équipementier dominant du cycle, a conçu ce groupe en écoutant les pratiquants non compétiteurs au lieu de viser les coureurs que cette annonce est importante à mes yeux. Comme c'est noté par tous, elle est tardive. C'est un élément supplémentaire qui indique que c'est pris au sérieux par le fabricant car ils semblent avoir fait bien plus que rebadger des produits existants (même si ils reprennent plusieurs concepts déjà mis en oeuvre sur des produits disponibles, notamment les dérailleurs AR). Cette annonce confirme donc la tendance dont nous parlons depuis environ un an, corroborée par la sortie de la gamme Triban 520 par DKT, initiée depuis plusieurs années par des fabricants moins dominants comme Genesis. Mais ces acteurs sont dépendants des équipementiers, peu nombreux, pour doter leurs vélos des groupes adéquats. C'était faisable à des prix élevés. Ca devrait être abordable désormais, (même si on n'a pas encore les prix).
L'élément déclencheur de ce mouvement de retour vers des vélos pour toutes sortes d'utilisations détachées de la compétition sur route a été initié par Jan Heine en démontrant l'intérêt des pneus larges et souples et en prouvant que confort et performance vont de pair alors que la doctrine était qu'il fallait choisir entre les 2. Les pneus larges permettent de rouler sur pistes gravier et sur route avec le même vélo dans une seule sortie. Pas besoin de VTT pour les pistes; pas besoin de vélo de course pour les routes. Grâce au bike-packing, l'image poussiéreuse des sacoches a été éliminée et donc les cyclos se sont remis à envisager les sorties en autonomie légère, et ont logiquement demandé des moyens de fixer des contenants sur le cadre. Les œillets de fixation sont miraculeusement revenus sur les vélos, et en catimini les porte-bagages. Idem pour les garde-boues. Jan Heine a fait ce que personne n'avait fait: il a regardé l'histoire du cycle (particulièrement français) avec un œil bienveillant, intéressé et sans l'a priori que ce qui est nouveau est mieux. Il a utilisé ses compétences d'ingénieur, son amour du cyclisme, ses qualités de communicant pour "recréer" un marché pour des vélos de cyclotourisme performants et donnant du plaisir à rouler en partant à l'aventure.
Bref, le cyclotourisme ringard (les cyclos s'étaient pour beaucoup ringardisés aussi par leur faute) renait de ses cendres par le biais du "gravel" et des "adventure bikes". Franchement, ça me fait sourire mais j'ai arrêté de m'en offusquer puisque désormais, le marketing des grandes marques, celui-là même qui nous a privé des vélos que nous voulions, vient souffler dans le bon sens.
En ce qui me concerne, je trouve qu'un problème persiste: le noir domine !!! Pas possible de s'équiper avec une version "argent" (j'ai poli mon moyeux Shimano LX de 28 ans qui est redevenu comme neuf et il est magnifique!). Il reste les marques plus confidentielles (SunXCD, René Herse, etc.) mais là on paie le prix fort.
PS: je me rends compte que je n'ai pas parlé de la Confrérie des 650. L'évolution du marché leur donne sacrément raison sur de nombreux points techniques en tenant bon sur des choix techniques issus de l'histoire de l'industrie française du cycle et de la pratique cyclotouriste tricolore. Malheureusement, même si leur influence a été décisive au moment où on ne trouvait plus rien, leur impact auprès d'un plus grand nombre reste très limité de par leur approche philosophico-politique et leurs postures qui limite de facto leur audience. Ca n'est pas un problème, c'est un choix (respectable).
Je serai curieux de voir/lire comment il vont réagir à toutes ces annonces qui, objectivement, donne à leurs positions historiques une validation intéressante. Les américains (et notamment Jan Heine) avec leur approche plus pragmatique démontre l'abîme culturel entre eux et nous, les français. Je ne peux m'empêcher de le regretter quand je constate (encore une fois) que les idées de bases et les technologies étaient parfaitement maîtrisées chez nous et que nous allons importer tout cela d'Asie...