Le chalet familial de la belle famille sert de base pour des projets variés dont l'un un peu fou que j'ai concocté il y a quelques années et sur lequel j'avais pas mal fantasmé mais que je n'avais jamais eu l'occasion de réaliser : une boucle par des cols et hors des sentiers trop battus, particulièrement agréable voire nécessaire au mois d'août (surtout cette année) me permettant de découvrir une partie des Alpes françaises que je ne connais pas : la Haute Maurienne.
Voici la trace imaginée, conçue sans penser aux nombre de jours nécessaires.
Juste des envies et quelques lignes rouges que je m'imposais :
- découvrir le plus de nouvelles routes/paysages
- gravir le col de l'Iseran (jamais gravi) dans le sens Sud - Nord
- Partir de St Gervais par le val Montjoie et le col du Joly
- Revenir par le Cormet de Roselend (jamais gravi)
- Éviter la remontée de la basse Maurienne
- Éviter l'horrible section de la vallée de l'Isère entre Aime et Moutiers
Je ne pouvais évidemment envisager cette boucle avec ma randonneuse. Mon vieux VTT randonneur s'imposait.
En partageant ce projet sur ce forum Emilpoe m'a appris que sa famille a un chalet dans la vallée des Encombres, par laquelle je comptais passer !
Éléments de circonstances particuliers à cette année : j'ai appris que des amis possèdent un chalet sur mon itinéraire, à Bessans. Ma tendre cyclote s'étant cassé le gros orteil, nos projets communs sont devenus caducs. La météo consultée vendredi dernier en route pour St Gervais donnait une fenêtre météo favorable de 3 jours mais il me fallait partir ... le lendemain ! Arrivé à 22h30 je m'organisai à l'arrache pour partir à 7h30 le lendemain matin ! Trop précipité pour qu'Emilpoe puisse s'organiser de sin côté pour me rejoindre à Gitamelon (vallée des Encombres), mais pas de soucis pour dormir au refuge éponyme, ni pour m'inviter chez les amis à Bessans (qui étaient prévenus depuis 2 semaines de l’éventualité de mon passage).
En reprenant ma trace je me rendais compte des stats de ce projet : 350km et 12000 m de D+ !!! Il me faudra sûrement faire quelques compromis avec ce projet en cours de route…
Assez pour le contexte passons au récit de cette épopée que je pourrais qualifier - un peu pompeusement - de " raid".
Levé vers 5h30, j'ai encore des préparatifs à faire sur mon vélo. Je veux l'alléger autant que possible car dans sa configuration cyclo-camping il tare 16,6kg. Que nenni, il me manque l'outil pour enlever la béquille, le temps pour virer les garde-boues, l'audace pour démonter le porte- bagages AV surbaissé. En effet, je veux garder le PB AR pour mes petites sacoches Ortlieb front roller afin de ne pas être gêné dans les sections VTT en raclant les sacoches, mais je ne fais pas une confiance totale à la résistance de ce vieux PB AR en fil d'acier en mode secoué VTT. Mes surbaissés en alu resteront donc sur la fourche, m'apportant une redondance sécurisante en cas de problème. Au final mon vélo restera dans sa configuration et donc son poids de 16,6 kg. Voici mon paquetage :
- 2 sacoches Ortlieb front roller pèsent 2,7 kg chacune. Elles contiennent : 1 sac de couchage (le refuge m'a prévenu de la nécessité d'en prendre un, covid oblige); outils et nécessaire de réparation de chambre ; T shirt, sous couche en laine mérinos, doudoune compacte, nécessaire de toilette réduit, coupe vent, bonnet, gants, 2 sous cuissards (dont 1 porté), slip, petite serviette microfibre; couverture de survie, chaussettes chaudes ; maillot jogging DKT jaune fluo, gilet réfléchissant, lampe frontale, couteau suisse, un peu de nourriture piquée dans le frigo
- Sacoche de guidon Vaude avec appareil photo, papiers, carnet, stylo, barres de céréales, téléphone portable. La sacoche elle même est lourde. L'ensemble pèse 2,5 kg, presque autant que la sacoche AR.
- 2 bidons de 900 cl pour 1,9 kg
Je pars finalement à 7h50. Il fait beau et frais car je roule à l'ombre jusqu'au début de la montée sérieuse du col du Joly aux Contamines. J'ai choisi de grimper par Colombaz, joli hameau d'alpage, sur le flanc du Mont Joly qui porte magnifiquement son nom ce matin. C'est raide, caillouteux mais ça roule. Conforme à mon attente. Après Colombaz, le chemin se cabre et je dois souvent descendre pour pousser. Je décide de descendre par la piste au fond du vallon du Nant Rouge pour remonter en face, au Signal. C'est plus long et me coûte en dénivelé mais la pente est moindre. C'est le prix à payer pour pouvoir rester sur le vélo. Une fois au Signal, ça redevient raisonnable et je profite pleinement de la montagne. Les promeneurs sont rares. Je me suis fait doubler dans les sections raides par des vététistes électrifiés. Ils me dévisagent avec un air mêlant incrédulité, pitié et une certaine admiration en voyant ma monture et surtout mes sacoches. Ce sera récurrent pendant les 3 jours.
J'arrive finalement au col, heureux de "virer cette première bouée", un gros morceau. Le point de vue est somptueux, tant pour admirer le Mont Blanc que le Beaufortain, le lac et barrage de la Girotte. La descente est superbe aussi sur les pentes que je pratique l'hiver à skis. Désormais je croise nombre de cyclos qui font ce col par le Sud, versant goudronné.
J'arrive à Beaufort vers midi. Je dois me ravitailler et je perds un temps précieux pour pas grand-chose en raison de l'affluence dans ce petit village de montagne.
Je prends mon temps pour déjeuner car à part au col du Joly, je ne me suis pas beaucoup arrêté depuis le matin.
A partir de Beaufort, mon projet rejoignait Arêches une petite route en hauteur en évitant la route principale, chargée en ce samedi de vacances. J’hésite mais compte tenu de mon retard, je suis raisonnable et coupe au plus court. Nouvel arrêt à Arêches à la boulangerie pour un coca et un dessert sucré que j'avais renoncé à acheter à Beaufort en raison du monde. J'ai souffert dans ces 3 derniers kilomètres. Je prends donc mon temps. Mais ce n'est rien comparé à ce que ce sera après cette pause.
Quand je repars, il fait encore plus chaud, l'ombre est rare. Mon 2eme objectif du jour est le Cormet d'Arêches, col méconnu car non goudronné sur sa section haute, qui culmine à 2100 m. J'y étais déjà passé lors de ma traversée des Alpes Avignon – Thônon en 2016, mais dans l'autre sens. Là j'y grimpe en début d'après midi, sous un beau mais chaud soleil. De plus, je viens de manger. La pente est raide : 7,1 de moyenne sur presque 20km. Sur la section au dessus du lac de St Guérin, il ne descend pas en dessous de 8, et rapidement après le lac, la route perd son bitume et se garnit de gravier grossier peu roulant. Tout cela met le palpitant à rude épreuve. Entre digestion, sudation et propulsion, la concurrence laisse moins de Watts à cette dernière. Cela fait longtemps que j'ai mis « tout à droite ». La vitesse moyenne tombe. Je dois faire plusieurs arrêts pour éviter de me mettre dans le rouge. Le plan de route tombe en déliquescence. Après un arrêt au bord d'un lac minuscule mais très mignon et surtout bienvenu, j'ai fait tomber la température corporelle en faisant une bonne trempette dans l'eau transparente mais glacée. Je repars en meilleure forme et avec meilleur moral ce qui me permet de gravir les derniers kilomètres jusqu’au col en profitant pleinement de la beauté et du cadre somptueux des alpages du Beaufortain. Au sommet, je tape la discute avec des promeneurs montés en voiture, intrigués par mon défi et mon profil « sacochard ». Un couple me propose un thé et partage ses propres anecdotes de leurs pérégrinations cyclistes. La montre, elle tourne.
Je suis devant un dilemme : j'ai planifié cette boucle sur quelques idées-force dont celle de relier Moutiers depuis le Cormet d’Arêches via une section VTT à travers les alpages en suivant un sentier qui me semblait - sur cartes et photos aériennes - roulables en VTT. L'observation des courbes de niveau m'avait prévenu qu'il faudrait pousser. J'acceptais, confortablement installé devant mon ordi, le principe de ce coût au vu de l'avantage procuré par l’évitement de l'horrible N90 entre Aime et Moutiers et de la satisfaction de découvrir la descente sur Moutiers par Naves, un alpage méconnu des masses car non équipé pour le ski de piste (mais probablement plus connu des fondus, dont un représentant éminent et libre se cache derrière un pseudo à double sens et double action sur ce forum). : wink
Mais là, bien loin de mon ordi, j'avais une montagne en face de moi, une montre trop précise et incorruptible, des sens éveillés qui s'opposaient à mes désirs, alimentant mon cerveau de signaux contradictoires. Il serait imprudent de s'engager si tard sur cet itinéraire. AngstromCyclo n'est pas breton mais il peut être obstiné. Il tentera quand même, contre son autre moi raisonnable, de s'engager sur le sentier. Après quelques centaines de mètres, l'âpreté du terrain, sa pente, ses cailloux et ses ornières auront finalement raison de l’entêtement du cyclo iconoclaste. Je rebrousserai chemin pour revenir au Cormet d’Arêches pour en redescendre par la « voie normale ». Celle-ci est caillouteuse sur les 2 premiers kilomètres environ, mais lorsque le bitume succède à la rocaille, le plaisir de descendre devient maximum tant la route et le paysage sont en harmonie. C'est sauvage à souhait, beau comme une carte postale ou une photo du magazine « 200 ». Plaisir uniquement écorné par une horde de 4x4 qui m'a pris en sandwich. Le premier roulant plus lentement car une dame pourtant d’âge à avoir dépassé ces plaisirs enfantins et dangereux tenait à faire cette descente debout sur le marchepied droit du véhicule. Je l'ai donc rattrapé mais ne pouvant doubler à cause de l’étroitesse de la route, j’étais vite rejoint par le reste de la bande. Position inconfortable de l'anchois dans le pan bagnat. Heureusement, ils bifurqueront assez rapidement pour me laisser du champ dans cette belle descente.
Je passe rapidement Granier mais à Tessens, je m'arrête, commandé par l'intuition que je peux m’épargner un peu de la nationale en roulant plus longtemps en hauteur. Effectivement, je trouverai cette petite route qui rejoint Villette. Elle semble très très peu employée. Son revêtement est irrégulier et souvent un peu dégradé mais ça passe très bien. C'est très joli. La sensation de rouler sur des routes oubliées me motive toujours.
Après, revenu en fond de vallée, c'est une alternance d'horreurs et de pistes cyclables. Le rocher du Siaix qui ferme la vallée de l'Isère comme un verrou en amont de Moutiers, est franchi dans le tunnel de secours aménagé pour les vélos. C'est parfait. Le pire c'est une section de la 4 voies avec une bande cyclable peinte qui est rétrécie jusqu’à la rendre moins que symbolique (moins de 40 cm de largeur). De la foutaise. J'avais bien fait de prendre le train entre Moutiers et Aime la dernière fois car encore à la descente, ça passe vite, mais à la montée c'est juste infernal ! Il faut soit prévoir le temps pour passer par Montgirod (ce qui ajoute du dénivelé) soit prendre le train.
Enfin, je rejoins Moutiers vivant. Je fais quelques courses dans une station service et j'attaque la très longue montée à St Martin de Belleville. J’ai évidemment évité la nouvelle route des Menuires/Valthorens et je passe donc rive droite sur un versant agréable, qui commence par grimper dans unenface abrupte qui domine le torrent, mais qui passe ensuite par plusieurs hameaux authentiques. On est encore loin de l'horrible station des Menuires. Le jour baisse. Le soleil est depuis longtemps descendu derrière la montagne et je grimpe à la vitesse d'un escargot. Je préviens le refuge de ma progression lente pour qu'ils ne s'inquiètent pas. Enfin j'arrive à St Martin et m'engage dans la vallée des Encombres alors qu’il fait quasiment noir. J'ai encore plus de 5 km à faire sur une route goudronnée en partie mais qui grimpe. Encore plus de 1000 m depuis Moutiers. La fin sera roulée dans le noir (pb de connexion de la Dynamo au phare) mais le gravier est correct donc je ne me sens pas en danger. Je n'ai qu'une idée en tête. Arriver au plus vite. Vers 22h jz touche au but. Les gardiens, super sympas m'accueillent chaleureusement et le réchauffent la tartiflette. Un solide dîner pris en discutant pendant qu'ils terminent leur service et rangent leur cuisine. Une douche et dodo. 8h – 22h. Une grosse journée avec 123 km, 2 cols muletiers de 2000 m et 4000 de D+.
La trace :
La suite du périple dans quelques jours.