Je suis en même temps d'accord (ça a été ma réaction immédiate lors de l'apparition du "gravel") et avec le temps, je constate que ce "retour" sous un nouveau nom (ça n'est aucunement une nouveauté) est plus qu'une mode. Je m'explique:
1) Le cyclotourisme et même la compétition cycliste sur route s'est déroulé sur des routes non goudronnées ou mal goudronnées depuis son invention.
Le lobby routier (constructeurs, entreprises de travaux publiques) a facilement influencé nos dirigeants pour dépenser des milliards pour "améliorer" le réseau routier secondaire depuis 50 ans: élargissements, "rectifications", etc. Les ruraux gagnent en temps de parcours et – ça reste à prouver – en sécurité.
Historiquement, on roulait donc sans se poser de questions d'appellation de discipline sur des routes en terre à vélo et on équipait son vélo de cyclotourisme de pneus et roues adaptés (650b + pneus "ballon"). Les organisateurs (et les coureurs) de courses cyclistes ont imposé le passage sur des routes en bon état car ils jugeaient négatives pour leur sport et le business "l'aléatoire" de la crevaison ou de la casse sur les sections moins bien recouvertes. Les pneus fins devenaient la norme (à tort, on le sait désormais) pour quiconque voulait des performances maximales. Evidemment, le marketing des fabricants fonctionnait à plein pour persuader les cyclos en recherche de performances de s'équiper comme les coureurs. Compte tenu de l'accès massif des classes populaires à la voiture, le cyclotourisme à l'ancienne, celui par lequel on utilisait le vélo pour découvrir du pays s'est rétrécit et la recherche de la performance et des exploits perso s'est développé de manière spectaculaire: preuve en est le succès des cyclosportives et le déclin d'une pratique cyclo-touristique dans les clubs, y compris ceux affiliés à la FFCT. J'en suis personnellement témoin dans ma famille et dans les clubs FFCT près de chez moi, les itinéraires sont choisis pour leur intérêt mais jamais au détriment de la qualité de la route. Tout le monde râle quand elle devient mauvaise. Et je ne parle pas de sections non goudronnées, même très roulantes. Ca secoue, on crève, la moyenne chute, etc. On voit de nombreux cyclistes sur des routes impeccables à grande circulation à cause de cela: on y est beaucoup plus performant.
Ce phénomène s'est accentué aussi car dès que la route perdait son bitume, tout le monde pensait qu'on entrait en territoire VTT. En tous cas en France.
C'est grâce aux cyclistes du Nord qu'est apparue une nouvelle culture du vélo: le cyclotourisme à la nordique et pas du tout typée FFCT "à la française". LE vélo est costaud, lourd, tout équipé d'accessoires, capables de rouler sur des chemins. Suivez les itinéraires cyclables allemands et vous comprendrez pourquoi. Les adeptes de cette pratique sont des personnes sans culture cycliste préalable, plutôt urbaine et osons le stéréotype, "bobo". Pour eux pas de performances, au contraire, mais du confort, un vélo de voyage doublé d'un usage vélotaf. tout va bien tant qu'on reste sur des terrains genre "Europe du Nord".
N'oublions pas les anglo-saxons qui ont fait perdurer une pratique ancienne du voyage à vélo: les anglais ont des machines très adaptées, ni très légères mais pas non plus trop lourdes, équipées pour y accrocher des sacoches, dotées de pneus de 700 x 35 environ. Le compromis. Ce type de vélo avait totalement disparu des catalogues des fabricants français, en dépit de la longue culture que ces marques avaient de ce type de vélos. Les américains, eux, n'ont jamais abandonné la fabrication et la vente de ces vélos et c'est pour cela qu'on trouve encore des Trek 520 qui sont au catalogue depuis des dizaines d'années. Nous, ici, on en était rendu à s'équiper de randonneuses anglaises ou américaines, un peu surdimensionnées pour nos randonneurs légers et montagnards. Ou forcés de se cantonner au "vintage". C'est pour cela que j'ai une Méral achetée d'occasion. Rien n'existait chez aucun vélociste autour de chez moi, à part les Genesis et autres vendus chez Cyclable, la chaîne urbaine et Bobo par excellence. Quelques autres spécialistes vendaient des Surly, mais c'est rare en France. Je dois préciser que je ne voulais pas dépenser l'argent pour la fabrication sur mesure, qui restait disponible mais confidentielle jusqu'à il y a 5 ans environ.
2) Apparition du gravel.
Ce sont les américains qui ont "inventé" cette catégorie. Pour moi, ce n'était que du marketing. Mais en fait, j'ai (un peu) révisé mon jugement.
Il faut connaitre un peu les USA pour mieux comprendre le phénomène. Là-bas, le monde de la route et du VTT est très "clivé". Les "roadies" ne font pas souvent du VTT. Ils se sont développés à vitesse V grâce aux "exploits" de qui vous savez. Mais il y a environ 5 ans, avec un déclencheur que je ne connais pas, il y a eu une prise de conscience concomitante que:
- les routes bien asphaltées aux USA sont dangereuses pour les cyclistes
- ces belles routes sont "rasoir" (très rectilignes)
- elles ne permettent pas le contact avec la nature de la même manière que d'autres pratiques genre VTT
- le réseau des routes secondaire est dans plusieurs régions non goudronné. Chez nous, on ne s'en rend pas compte car en Belgique comme en France, on est des acharnés du bitume. Là-bas, et aussi dans les pays nordiques, il y a plein de routes en terre (cf rallye des mille lacs en Finlande) qui sont régulièrement entretenues ("gradées", c'est à dire "râclées" avec un engin spécial qui élimine les ornières). Bien évidemment, les "roadies" avec des pneus de 23 ou 25 ne s'aventuraient jamais sur ces routes. LE VTT n'est pas du tout fait pour ça.
D'où l'apparition du "gravel": une machine en presque tous points comparable à un vélo de route performant (poids réduit, cintre "course", etc.) mais capable d'être monté avec des pneus souples, de gros diamètres et légers. Evidemment, les nouveaux pratiquants ont très vite poussé le bouchon plus loin en s'aventurant plus loin, plus longtemps, et sur des routes devenant des chemins, puis des sentiers. Ils venaient de la route donc pas question de passer au VTT mais à en lire certains, ils redécouvraient des zones entières que les vttistes connaissaient depuis belle lurette.
Cette nouvelle pratique a très vite trouvé des partisans en France et probablement en Belgique car nous avons un immense réseau de chemins, de routes forestières et de routes goudronnées en état moyen à mauvais que les "roadies" avaient éliminé de leur terrain de jeux. Ils découvrent tout ça. En plus, c'est devenu à la mode donc ils peuvent continuer de se faire plaisir avec des vélos dernier cri à 5000€ et 7,5 kg. Les nouveaux pratiquants se sentaient pionniers (cf le nom d'une organisateur de "courses" Chilkoot, "la compagnie des pionniers"). Grâce aux réseaux sociaux, ils se sont créé un "univers", se sont auto-convaincus qu'ils étaient les pionniers d'une "nouvelle" pratique. Bref, le marketing moderne dans toute sa splendeur.
Vous comprenez que ça m'irrite au plus haut point, surtout quand ils dénigrent quasiment systématiquement le cyclotourisme qu'ils présentent "à l'ancienne". Mais la raison pour laquelle je ne m'en offusque plus, c'est que je me rends compte que grâce à tout ce marketing, il y a désormais une offre nouvelle de vélos, beaucoup plus adaptée au cyclotouriste de découverte mais efficace qu'il y a 5 ans. Je cesse donc de m'étrangler à chaque fois que j'entends un jeune me parler de sa "nouvelle" pratique. Je suis juste content qu'il se mette au vélo et à rouler dans des endroits un peu paumés mais splendides.
Et croyez moi si vous voulez, le Mondovélo à côté de chez moi a même des gravel et un vélo de voyage en exposition dans son magasin!
J'ai toujours senti que j'étais aux yeux du vendeur hyper fana des vélos de course carbone +++ un vieux schnock "passéiste" avec ma randonneuse et que partir en vacances à vélo, c'était le temps du front populaire mais pas celui du 21ème siècle.
Comme quoi ... le marketing n'a pas que du mauvais.
En ce qui me concerne, je pratique le gravel soit avec ma randonneuse, même si ses pneus de 28 ou 32 sont trop fins pour certaines zones et me freinent quelques fois (ce qui n'est pas un problème pour moi), soit avec mon VTT full rigide de 1992 qui fait parfaitement le job, mais avec une pénalité de poids assez conséquente par rapport à ce qui existe actuellement sur le marché.