Très intéressant, Jimmy. Merci pour ton récit et tes photos. La Lozère est un département où j'ai entendu dire qu'il peut geler chaque moi de l'année. Ma femme a failli être bloquée par la neige au passage à la baraque des bouviers en Margeride un week-end de l'Ascension (mi mai), je crois en 2011.
J'ai lu le livre de Stevenson il y a quelques temps mais je suis entrain de le relire. Je prends des notes avec la tablette affichant la carte IGN à côté de moi avec comme objectif de retracer moi-même l'itinéraire de Stevenson, exclusivement à partir du récit.
La conclusion que j'en tire est que le tracé "officiel" DU Stevenson (GR70) n'est pas du tout parfaitement conforme au voyage de "R.L.S". La raison de ces "libertés" avec le tracé original est bien évidemment que le GR70 étant un itinéraire de randonnée pédestre, le parti a été pris de privilégier le cheminement agréable loin des voitures et que la route a désormais la plupart du temps remplacé les chemins qu'il suivait.
Ca n'est pas toujours le cas, bien sûr. Par exemple, dans ses errements à trouver le village du Cheylard l'Evêque, il parle spécifiquement de 2 hameaux "Fouzilhac" et "Fouzilhic". Il n'y a pas de route pour relier ces hameaux au Cheylard l'évèque; le GR70 est donc très probablement fidèle aux pas de Modestine. Il se trouve que je suis passé sur ce chemin avec ma randonneuse Méral et pneu de 28. Ca passe. Mais dans certains cas c'est gênant. PAr exemple, le trajet de Pont-de-Montvert jusqu'à Florac est décrit très précisément. C'est un beau passage:
Une route neuve conduit de Pont-de-Montvert à Florac, par la vallée du Tarn. Son assise de sable doux se développe environ à mi-chemin entre le faîte des monts et la rivière au fond de la vallée. Et j’entrais pour en sortir, alternativement, sous des golfes d’ombres et des promontoires ensoleillés par l’après-midi. C’était une passe analogue à celle de Killiecrankie, un ravin profond en entonnoir dans les montagnes, avec le Tarn menant un grondement merveilleusement sauvage, là-bas, en dessous, et des hauteurs escarpées dans la lumière du soleil, là-haut, au-dessus. Une étroite bordure de frênes cerclait la cime des monts comme du lierre sur des ruines. Sur les versants inférieurs et au-delà de chaque gorge, des châtaigniers, par groupes de quatre, montaient jusqu’au ciel sous leur feuillage épandu. Certains étaient implantés chacun sur une terrasse individuelle pas plus large qu’un lit ; d’autres, confiants en leurs racines, trouvaient moyen de croître, de se développer, de rester debout et touffus sur les pentes ardues de la vallée. D’autres, sur les bords de la rivière, restaient rangés en bataille et puissants comme les cèdres du Liban. Pourtant là même où ils croissaient en masse serrée, ils ne faisaient point penser à un bois, mais à une troupe d’athlètes. Et le dôme de chacun de ces arbres s’étalait, isolé et vaste d’entre les dômes de ses compagnons, comme s’il avait été lui-même une petite éminence. Ils dégageaient un parfum d’une douceur légère qui errait dans l’air de l’après-midi. L’automne avait posé ses teintes d’or et de flétrissure sur leur verdure et le soleil, brillant au travers, atténuait leur rude feuillage, en sorte que chaque épaisseur prenait du relief contre son voisin, non dans l’ombre, mais dans la lumière. Un humble dessinateur d’esquisses lâchait, ici, désespéré, son crayon.
Je voudrais pouvoir donner une idée du développement de ces arbres majestueux, comme ils étalaient leur ramure ainsi que le chêne, traînaient leurs branchages jusqu’au sol ainsi que le saule ; comment ils dressaient des fûts de colonnes, pareils aux piliers d’une église ou comment, ainsi que de l’olivier, du tronc le plus délabré, sortaient de jeunes et tendres pousses qui infusaient une vie nouvelle aux débris de la vie ancienne. Ainsi participaient-ils de la nature de plusieurs essences différentes. Et il n’était pas jusqu’à leur bouquet épineux du faîte dessiné de plus près sur le ciel qui ne leur conférât une certaine ressemblance avec le palmier, impressionnante pour l’imagination. Mais leur individualité, quoique formée d’éléments si divers, n’en était que plus riche et plus originale. Et baisser les yeux au niveau de ces masses abondantes de feuillages ou voir un clan de ces bouquets d’antiques châtaigniers indomptables, « pareils à des éléphants attroupés » sur l’éperon d’une montagne, c’est s’élever aux plus sublimes méditations sur les puissances cachées de la nature.
Entre la musarde humeur de Modestine et la beauté de ce spectacle notre progression fut lente, tout cet après-midi. Enfin, observant que le soleil, bien qu’encore loin de son coucher, commençait déjà d’abandonner l’étroite vallée du Tarn, je me mis à songer à un endroit où camper. Ce n’était point chose aisée à trouver. Les terrasses étaient trop étriquées et le sol, là où il n’y avait point de plates-formes, était trop déclive pour s’y pouvoir étendre. J’aurais pu glisser pendant la nuit et m’éveiller, vers le matin, les pieds ou la tête dans la rivière.
Le GR70 fait monter sur la montagne de Bougès, qui est un bel endroit, offrant une magnifique vue à 360, mais par lequel RLS n'est jamais passé. Il mentionne spécifiquement la nouvelle route.
C'est pour cela que je pense que le meilleur vélo pour faire un itinéraire sur les pas de Stevenson dasn l'esprit de retrouver les paysages et villages qu'il a décrits serait pour moi un VTT ou "gravel" équipé de pneus roulants car une grosse partie du tracé emprunte une route actuellement goudronnée. A une occasion Stevenson parle de difficultés de terrain et de pente très raide: lorsqu'il veut couper les lacets de la montée au Goulet pour gagner du temps. LE GR est effectivement fidèle dans cette partie.
Il y a des degrés dans la chance comme dans les pénalités, outre la peine capitale. Et les esprits bénéfiques m’entraînèrent alors dans une aventure que je relate au bénéfice des futurs conducteurs de bourricots. La route faisait de si amples zigzags au flanc de la montagne que j’empruntai un raccourci tracé à la carte et à la boussole et m’engageai à travers des bois rabougris, afin de rattraper le chemin un peu plus haut. Ce fut l’occasion d’un sérieux conflit avec Modestine. Elle ne voulait rien savoir de mon raccourci. Elle se retourna vis-à-vis de moi, marcha à reculons, rua, et, elle que je m’imaginai muette, se mit à braire très fort d’une voix enrouée, comme un coq annonçant la naissance de l’aurore. Je piquai de l’aiguillon d’une main, et, de l’autre, tant la montée était roide, il me fallait maintenir le bât. Une demi-douzaine de fois ma bête fut à deux doigts de me dégringoler sur la tête ; une demi-douzaine de fois, par pure faiblesse d’âme, je fus sur le point d’abandonner mon dessein et de reconduire Modestine au bas de la pente afin de suivre la route. Mais j’envisageai la chose comme une gageure et m’obstinai malgré tout. Je fus surpris, alors que j’atteignais de nouveau la chaussée, par la sensation de gouttes de pluie qui tombaient sur mes mains et, à plusieurs reprises, je levai des yeux étonnés vers le ciel sans nuages. C’était simplement la sueur qui me coulait du front.
Au sommet du Goulet il n’y avait plus de route tracée – uniquement des bornes dressées de place en place, afin de guider les bouviers. Le sol moussu était, sous le pied, élastique et odorant. Je n’avais pour m’accompagner que quelques alouettes et je ne rencontrai qu’un chariot à bœufs entre Lestampes et Bleymard. Devant moi s’ouvrit une vallée peu profonde et, à l’arrière, la chaîne des monts de la Lozère, partiellement boisés, aux flancs assez accidentés dans l’ensemble toutefois d’une configuration sèche et triste. À peine apparence de culture. Pourtant, aux environs de Bleymard, la grand-route de Villefort à Mende traversait une série de prairies plantées de peupliers élancés et de partout toutes sonores des clochettes des ouailles et des troupeaux.
Moi j'accepterai de prendre la route actuelle qui évite les poussages. JE ne cherche pas l'absolu mais juste à me plonger dans un récit truculent avec le vrai paysage sous les yeux (qui a bien changé depuis).