

L'objectif de cette troisième randonnée est d'atteindre et dépasser Mortagne au Perche, en dormant idéalement à Dreux... mais je sais que cet objectif n'est pas très raisonnable. Distance en vue : environ 360 km. Mais mon plan de route initial me faisait partir de Quédillac ce matin. Or je suis toujours à Ménéac, donc 30 km avant Quédillac.
Avec les 490 + 325 (=815) des deux premiers jours, il reste environ 400 km à boucler en un jour et demi. Ca reste envisageable, l'idéal étant de ne me garder qu'une portion de moins de 150/100 km pour le jeudi. Donc il me faut rouler aujourd'hui entre 250 et 300 km. Et pour cela, il ne faut pas trop rester traîner au lit !
Hop ! Je plie mon bivouac, déguste un petit-déjeuner tiré des sacoches, vérifie que je n'oublie rien et zou !


A 7h00, je suis dans la ville de Louison Bobet : Saint Méen le Grand. Même si je connaissais déjà où se cache le camping municipal, pour y avoir dormi une nuit lors de notre Tro Breiz en tandem en 2012, je constate que la distance était bien trop grande pour pousser jusque-là hier. J'ai bien fait de m'arrêter à Ménéac car il n'y avait pas de solution de repli avant Saint Méen.
J'hésite à prendre un petit déjeuner mais les rideaux des cafés sont encore tirés. Juste avant la sortie de la ville, j'avise néanmoins plusieurs vélos appuyés le long du mur d'une grosse boulangerie/snack. Hop ! Voilà un petit déjeuner qui s'annonce ! 7h07, c'est la bonne heure pour un grand chocolat et des croissants, non ?

Après une pause prolongée par un peu d'attente devant les toilettes (à croire que tous les cyclos avaient la même idée que moi de faire un brin de toilette en plus de la pause du petit-déjeuner), je repars sur la rue Louison Bobet vers Quédillac puis Médréac. A Quédillac, je snobe encore le ravitaillement... pas la peine de s'arrêter après seulement 20 minutes de vélo ! Le soleil est réveillé et inonde la campagne de belles couleurs. On dirait qu'il a réveillé les cyclos car ils sont plus nombreux sur la route qui commence à onduler à mesure qu'on approche de Bécherel. Bécherel fait un peu peur, mais finalement le plus dur est avant, une fois le panneau passé le profil est descendant jusqu'à Tinténiac, le prochain contrôle.
Juste à la sortie de Bécherel, un fourgon de police, une ambulance des pompiers et quelques cyclos nous rappellent à la prudence : visiblement un cyclo est emmené sur la civière, sans que je connaisse la cause de l'accident.
Passée cette intersection, la route descend bien et le rythme s'en ressent. Un groupe de costauds me rattrape et j'arrive à accrocher leurs roues. Ca file ! Le compteur s'affole et ne veut plus descendre en dessous de 30 km/h !

Bon, j'ai bien remarqué que tous les cyclos ont tendance à accélérer à l'approche des contrôles, mais là il y avait plusieurs facteurs aggravants : le groupe rapide, le profil descendant... n'empêche que je me suis promis de ne pas repartir avec ce groupe : trop rapide pour tenir la distance. Néanmoins, ça décrasse un peu le diesel et ça fait du bien de voir que l'on est capable de rouler à cette vitesse après 860 km.

Après un pointage qui aura duré 20 minutes, me revoici sur la route pour une courte étape : 54 km avant Fougères. Il est 9h30 environ et ça ne serait pas trop mal de profiter du pointage de Fougères pour faire une pause déjeuner, qu'est-ce que vous en dites ?
Petite pause café à Feins où les Audax Thaïlandais ont organisé un ravitaillement. J'ai peut-être compris l'origine du naufrage des randonneurs thaïlandais pendant la nuit : le café soluble est tellement clair que l'on voit le fond du gobelet et je dois être sur la fin du thermos parce que je ne risque pas de me brûler (ah ! Ces Français qui râlent tout le temps ! ).

Plus loin, vers 11h10, je passe en trombe devant un ravitaillement familial en bas d'une légère descente. J'entends déjà derrière moi un garçon crier : "Gâteaux durs, gâteaux mous !" Allez ! Rien que pour l'accroche et l'ambiance, je fais demi-tour et dévore quelques parts de quatre-quarts (le fameux "gâteau mou") et quelques petits beurres (les gâteaux durs) tout en discutant avec cette famille qui nous donne du temps et des provisions à nous, cyclistes de passage, même si les enfants sont plus tournés vers le foot. Voilà une pause de 10 minutes qui rebooste bien ! L'énergie ne vient pas que des aliments ingurgités.

Je passe Saint Hilaire des Landes et me revoilà arrêté pour une autre pause ! Ca ne roule pas aussi vite qu'avant Tinténiac !

Je continue vers Fougères que j'atteins à 12h22. Je pointe, j'achète un sandwich et une boisson que je vais savourer près du parking à vélo, sur l'herbe et à l'ombre. A 12h50, je repars du contrôle, avec juste 10 minutes d'avance par rapport à mon plan de route et 1h20 par rapport aux délais max. J'ai roulé conformément à mon plan de route entre Tinténiac et Fougères : parti avec 10 minutes d'avance de Tinténiac, je repars avec le même délai de Fougères. C'est bien car j'ai rattrapé mon retard de la nuit passée à 30 km de mon point chute prévu.
Mais ça, je ne le constate qu'une fois de retour sur terre. Durant la randonnée, je n'avais qu'en tête l'avance par rapport au délai max : 1h20, ce n'est pas suffisant pour s'arrêter dormir pendant la nuit !

Il faut continuer sur le même rythme et viser un pointage à Villaines la Juhel vers 17h30. Pour cela, il faut parcourir les 89 km en 4h40, c'est-à-dire tenir une moyenne de 19 km/h. C'est peut-être présomptueux, contentons-nous d'appuyer sur les pédales.

Le voici donc qui me rattrape et me hèle en m'encourageant ! Il est juste partir dans le dernier sas du lundi matin, à 5h30... soit 9h après moi ! Etant donné son niveau de pédalage, je m'attendais bien à ce qu'il me rattrape. Et c'est avec plaisir que nous cheminons de concert.
Un groupe d'Italiens qui devisent assez haut nous rattrapent. Ils sont grands, ne forcent pas trop sur les pédales... hop ! Nous voilà dans leurs roues. Voilà un peu de repos, ces locomotives nous tirent sans sourciller et sans interrompre leur discussion. On a l'impression de s'incruster dans leur balade dominicale.

Malheureusement, ils décident de s'arrêter faire des emplettes à Ambrières-lès-Vallées. Pour notre part, nous continuons sur le parcours en attendant qu'ils nous rattrapent plus loin.
A Lassay les Châteaux, les bars et les terrasses regorgent de cyclos qui cherchent de l'ombre et de l'eau fraîche. Nous ne nous arrêtons pas là, mais à un ravitaillement familial juste à la sortie de la ville : rechargement des bidons en 2 minutes 30 chrono ! Avec un sourire et quelques mots échangés en prime ! PBP, c'est d'abord des rencontres.
Hardanges se profile à l'horizon : arrêt calva ou pas d'arrêt calva ? On roule bien et les bidons sont pleins : on continue ! Un signe au passage du ravito, le tenancier me reconnaît mais je m'excuse de ne pouvoir m'arrêter...
Dans les montées avant Hardanges, Stéphane est parti devant jouer avec des Japonais. Je profite de la fraîcheur des bois et du vent relatif dans les descentes... mes bidons se vident vite avec la chaleur !
J'ai repris mon rythme et les kilomètres se succèdent avant Villaines la Juhel : Loupfougères est passé, le contrôle approche. J'aperçois l'église de Villaines et là... Là, je suis transporté ailleurs, dans une autre dimension, dans un autre décor... Je passe l'arche qui matérialise le capteur pour la puce fixée sur le vélo comme si j'étais le vainqueur d'une étape du Tour de France ! Des spectateurs innombrables m'applaudissent, m'encouragent, crient ! Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, mais ils sont là et mettent une ambiance du tonnerre ! C'est époustouflant ! Je suis transporté ! Les kilomètres (1012 exactement) ne comptent plus ! On me l'avait raconté, mais je n'y croyais pas trop... maintenant, j'ai vu et je crois (un peu Saint Thomas ?).

Je pointe à 17h05, je refais le plein des bidons et je prends quasiment une douche en plein air sous les robinets extérieurs tout en discutant avec des spectateurs/supporters.
Lorsque je retourne à mon vélo, je retrouve Stéphane qui s'apprête à partir ! Nos vélos étaient quasiment côte à côte. Il m'attend un peu, le temps de revisser la vis qui tient mon porte-bagage maison qui commençait à chantonner sur les parties granuleuses de la route et c'est reparti, sous le soleil qui sèche vite mon maillot et avec les encouragements des spectateurs qui reboostent tous les cyclos ! La pause n'aura pas duré 25 minutes pour moi, maintenant on met le cap vers Mortagne au Perche qui se méritera avec sa côte qui grimpe jusqu'au contrôle : 85 km en vue. Il est 17h25, ce serait bien de pouvoir y dîner avant de repartir dans la nuit. Nous partons de Villaines à l'heure où je devais y arriver si j'étais fidèle à mon plan de route. J'ai quasiment 4h de marge par rapport au délai max : c'est bon, je vais pouvoir dormir cette nuit (si je ne baisse pas trop la moyenne par la suite). Le moral est au beau fixe : du temps devant soi, de la bonne compagnie et des encouragements à gogo !
Lorsqu'on arrive vers Sougé le Ganelon, j'exprime à Stéphane que j'aimerais manger du salé et il ne me reste que du sucré dans la sacoche : premier arrêt dans une boulangerie vidée par les cyclos qui sont passés avant nous... tant pis, la quiche attendra... Mais en fait, un supermarché nous tend les bras à la sortie du village : hop ! Pause ravitaillement : salade piémontaise, yaourts à boire... on refait le stock et on déguste ça à l'ombre. Nous sommes quelques cyclos à faire une pause au même moment. 18h30, c'est presqu'un horaire de maison de retraite pour le dîner ! Mais on ne se formalise pas plus que ça : il reste tout de même quelques kilomètres à parcourir et il faut recharger la machine.
Nous repartons avant 18h50. Dans la grande ligne droite vers Cougains, le soleil est dans notre dos mais continue à chauffer. Ce n'est pas la route la plus agréable, mais les kilomètres défilent tout de même. On vire à Cougains en direction de Mamers qu'on atteint vers 20h35. Arrêt au stand tenu par le club cyclo du coin. Distribution de soupe bien chaude, remplissage des bidons, grignotage de quatre-quart... Stéphane veille au grain et fait en sorte que l'on ne s'éternise pas trop : à 20h50, nous sommes de retour sur les vélos pour les 25 km vers Mortagne.
Dans la montée qui suit la sortie de la ville, nous rattrapons un tandem qui nous double dans la descente suivante et qu'on rattrape à nouveau lorsque la route remonte : "En tandem sur PBP, c'est une cause de divorce ou pas ?" Réponse négative des tandémistes ; oserai-je le proposer à ma femme ?

Et, enfin, la voilà ! La voilà la côte en haut de laquelle Mortagne au Perche se perche ! A nous deux ! Je t'ai gravie lors du BRM 600 de Pavilly, je te gravirai encore ce soir ! J'avais un tampon à récolter et là encore, j'ai un tampon à mettre sur mon carnet. Je crois que c'est là que j'ai arrêté mon jeu stupide du mono-plateau : j'ai dû descendre sur le petit plateau pour m'en garder sous le pied pour le dernier raidard, juste à l'entrée du contrôle. Comme si PBP n'était pas déjà un défi en soi...

Et voilà : 22h05, nous pointons à Mortagne ! Je suis pile dans mon timing, selon mon plan de route idéal. Stéphane décide de rester dormir ici ; moi, je préfère dîner rapidement (comprendre : finir la portion de salade piémontaise que je trimballe depuis Sougé le Ganelon) et repartir dans la nuit pour engranger quelques kilomètres supplémentaires. Avec la nuit qui est arrivée, la chaleur s'est assoupie et je suis plus à mon aise... j'étais probablement très proche de mes limites dans l'après-midi, mes bidons se vidant beaucoup plus rapidement que d'habitude.
Une fois mon second dîner englouti, je ne m'attarde pas pas à contempler les machines présentes (un tricycle britannique par exemple) et je repars : il est 22h45, j'ai 5h30 d'avance sur le délai max en repartant du contrôle. Ma nuit est assurée !
Je ne pense pas arrivé jusqu'à Dreux car il y a encore 78 km, mais j'envisage de dépasser Longny au Perche (seulement 18 km) pour laisser les grosses montées/descentes derrière moi dès aujourd'hui et me garder un parcours "plat" demain pour la dernière journée.
Je descends donc vers la sortie de Mortagne. Grisé par la descente, un peu perdu dans mes pensées aussi, je continue sur le tracé du BRM 600 de Pavilly et je tourne donc à gauche pour entamer la longue montée qui permet de sortir de Mortagne vers le Nord. Vers le Nord ? Comment ça, vers le Nord ?!? Et d'ailleurs, pourquoi suis-je donc tout seul sur la route, sans un seul lumignon rouge devant, sans un seul phare blanc derrière moi ? Ils ne sont pas tous en train de dîner ou dormir... Oups !

Zou ! Demi-tour ! Heureusement, ça descend ! Je retrouve Mortagne et les flèches du parcours. C'est reparti ! Mais je dois m'arrêter à nouveau pour resserrer les vis de mon porte-bagage avant : j'ai encore les idées claires, les grincements sont ténus, je préfère m'arrêter tout de suite pour corriger le problème plutôt que d'attendre que ça empire.
Voilà les montées/descentes ! Ca file en roue libre, puis je me mets debout sur les pédales, roue libre, tout à gauche, roue libre, jambes en feu... Ca en deviendrait presque monotone ! Heureusement, le relief est masqué par la nuit, les odeurs des sous bois, la lune qui joue à cache cache, les chouettes qui passent juste devant silencieusement, les fourrés qui frétillent dans l'obscurité : j'aime rouler la nuit et les jambes tournent bien.
J'atteins Longny au Perche vers minuit : c'est encore trop tôt pour dormir, mais c'est déjà une victoire pour moi ! Les bosses sont derrière ! Demain sera une journée toute plate et sans relief (seulement au propre, au figuré, ce sera autre chose). Je ne m'arrête donc pas aux cafés comme les autres cyclos, je trace ma route vers l'Est.
J'arrive à Senonches vers 1h10. J'explore un peu pour trouver un lieu où dormir, je passe devant un ravitaillement mais je n'ai pas envie de café chaud, juste m'allonger dans mon sac de couchage. J'avise un abribus de luxe à même pas 100m de là : spacieux, disposant d'un long banc, avec assez de place pour que mon vélo y entre en entier. J'y suis à l'abri d'une éventuelle brise nocturne.
Le temps de m'installer, je dois m'endormir vers 1h30 et j'ai réglé mon réveil pour 4h de nuit : il sonnera à 5h30.

Voilà 325 km en plus dans la besace, en 19h15.
